Le fabuleux destin des Rothschild (2024)

La maison à l’Ecusson rouge

« A considérer les conditions de vie des Juifs à Francfort, on reste sidéré qu’ait pu émerger dans un tel décor l’une des plus grandes – sinon la plus grande – dynastie financière de tous les temps. C’est pourtant bien ce qui allait se passer. Lorsque Meyer Amschel vient au monde en 1743 ou 1744, cela fait deux siècles au moins que la « rue des Juifs » constitue l’horizon quotidien des Rothschild. Leur nom même est lié au ghetto. C’est en effet dans les années 1570 que l’un d’entre eux, Isaac, a pris pour patronyme celui de la maison qu’il habitait alors : la maison à l’Écusson rouge, « Zum Roten Schild ». Une pratique courante dans la communauté juive, dont les membres, faute de véritable état civil, font de leur adresse, du blason ou de l’enseigne qui décore leur demeure leur nom de famille.

L’ascension

Les guerres, celles de la Révolution puis de l’Empire : ce sont elles en effet qui vont accélérer, et de quelle manière ! l’ascension des Rothschild ; elles qui vont augmenter leur assise financière ; elles qui, en définitive, vont rendre possibles les développements ultérieurs de la dynastie. C’est alors, entre la fin des années 1790 et le début des années 1800, que Meyer Amschel passe du statut de négociant à celui de véritable banquier. [...] Dès les années 1790, et plus encore au début de la décennie suivante, lorsque les armées de Napoléon mettent l’Europe à genoux, le négociant de Francfort met ses finances, son intelligence et son vaste réseau d’affaires au service des Alliés engagés dans une lutte à mort contre le « Petit Corse ». La réputation et la puissance financière des Rothschild en sortiront considérablement renforcées.

La légende de Waterloo

L’histoire est connue : c’est celle du fameux « coup de Bourse » de Nathan Rothschild, troisième fils de Meyer Amschel [il a changé le « e » de Meyer par un « a » afin de germaniser son nom] et fondateur de la branche anglaise de la dynastie. Selon certains, le banquier aurait assisté lui-même à la défaite de Napoléon et aurait pris à bride abattue la route de Londres. Même si cela correspond bien à sa façon de faire, il s’agit en fait d’une légende, pieusem*nt entretenue par la famille elle-même et qui a suscité d’innombrables commentaires. Joseph Goebbels, le maître de la propagande nazie, prétendait même que Nathan avait payé un général français pour perdre la bataille de Waterloo ! Ce jour-là, en réalité, Nathan n’est pas à Bruxelles mais à Londres. Sans doute est-il, grâce à l’efficacité de ses courriers, l’un des premiers à apprendre la défaite de Napoléon. [...]

S’il est bel et bien pris de court par la défaite de Napoléon Ier, Nathan réagit rapidement. Dès qu’il apprend la nouvelle, il entreprend d’acheter massivement des obligations. Un risque considérable alors que les détails de la bataille ne sont pas encore connus et que rien ne permet de dire que l’Europe en a définitivement terminé avec Napoléon. En misant sur la fin de la guerre et la victoire définitive des Britanniques, Nathan fait en réalité le pari que les emprunts publics vont fortement baisser, entraînant à la hausse les obligations. Et c’est bien ce qui se passe ! Un an durant, le banquier achète des quantités considérables d’obligations, suscitant l’inquiétude de ses frères installés sur le continent. Lorsqu’il se décide enfin à vendre à l’été 1816, les titres qu’il a achetés ont gagné 40 % depuis juin1815. À la clef, un gain estimé à plus de 600millions d’euros actuels. Une opération d’une audace époustouflante.

Le réseau européen

C’est ainsi que, à partir de 1818 et pour longtemps, la succursale de Londres lance, conseille et distribue tous les grands emprunts internationaux, qu’ils viennent de France, d’Autriche, d’Allemagne ou d’Italie. Il ne reste plus désormais aux Rothschild, pour les capter plus sûrement, qu’à achever de déployer en Europe leur réseau de succursales. En 1818, il en existe trois : celle de Francfort, bien sûr, Rothschild & Söhne, fondée jadis par Mayer Amschel ; celle de Londres, NM Rothschild & Sons, ouverte par Nathan en 1810 ; et celle de Paris, Rothschild Frères, que James a fondée en 1817.

En 1821, Salomon crée à Vienne la société SM von Rothschild. Quelques semaines auparavant, le chancelier Metternich, tout à sa « grande politique » et passant outre aux réticences de Londres, lui a confié le financement de l’expédition destinée à rétablir l’ordre en Italie, et notamment à Naples, menacée par une insurrection libérale. Le banquier y a gagné le titre de « commissaire-payeur » des armées autrichiennes, la reconnaissance de Vienne et, surtout, la possibilité d’y ouvrir enfin une filiale. Le voilà désormais maître des finances autrichiennes… La même année, Charles s’installe à Naples, où il ouvre une nouvelle succursale, C M von Rothschild & Figli. [...]

Les établissem*nts de Londres, Paris, Francfort, Vienne et Naples constituent la véritable force de la dynastie Rothschild. Ils donnent à ce que l’on n’appelle pas encore la « Banque Rothschild » une dimension internationale dont très peu d’établissem*nts financiers peuvent alors se prévaloir. Grâce à elle, les cinq frères sont en mesure de servir les investisseurs en obligations gouvernementales beaucoup plus rapidement et beaucoup plus efficacement que la plupart de leurs concurrents, jouant ainsi un rôle de premier plan dans le processus d’intégration des marchés européens des capitaux.

James conquiert Paris

Avec une étrange coquetterie, James de Rothschild n’a pas souhaité prendre la nationalité française et reste fidèle à sa nationalité allemande d’origine, ce qui lui interdit de devenir régent de la Banque de France. Mais qu’importe ! Il domine de très haut la place de Paris, loin devant le banquier Laffitte, qu’il a fini par surpasser. On le voit chaque jour à la Bourse, un peu avant la clôture, souvent accompagné de l’un de ses neveux venu à Paris apprendre son métier. Indéchiffrable, il ne laisse rien paraître de ce qui l’amène et ne révèle rien des formidables opérations financières qui l’occupent. Gérées de concert avec ses frères depuis les principales places d’Europe et avec l’aide d’un réseau de correspondants sans équivalent en Europe, elles sont d’ailleurs impénétrables, y compris à ses concurrents.

Mais James n’est pas seulement devenu l’un des acteurs incontournables de la haute banque parisienne. Il est aussi l’une des figures de la vie mondaine. […] Il faut dire que tout, chez lui, étonne, surprend, agace parfois : son influence, son aisance, la familiarité qu’il entretient avec les grands de ce monde, sa prodigieuse capacité de travail et bien sûr sa vie fastueuse, si parisienne ! Totalement dépourvu de complexes en la matière, James étale sa magnificence aux yeux de tous…

Les héritiers

Chacun a également conscience d’appartenir à une même famille et de partager des règles communes, celles-là mêmes que le fondateur de la dynastie avait édictées au moment d’envoyer ses fils à la conquête de l’Europe : les filles, leurs maris et leurs descendants n’ont toujours pas droit à la moindre part et les fils souhaitant quitter l’association ont l’obligation de céder les leurs. Depuis que le Grand Baron a ouvert la voie {James a épousé sa nièce Bettina], les mariages entre les différentes branches de la famille se sont en outre généralisés.

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Entre1824 et1877, quinze mariages sur vingt et un sont célébrés entre descendants directs. Au fil des années, le tableau généalogique de la famille, dont toutes les branches s’entremêlent, est devenu d’une effroyable complexité. […] Au sein de la famille, on est donc tout à la fois gendre de son oncle, oncle de sa femme, beau-père de ses nièces ou petites-nièces et cousin de tout le monde ! Répété d’un bout à l’autre de l’Europe et d’une génération à l’autre, ce schéma finit par devenir illisible. Tel est cependant le prix à payer pour préserver l’unité de la dynastie et éviter que sa fortune, gage de son influence sur les affaires du monde, ne se disperse au fil des générations.

« Juif sous Pétain, paria sous Mitterrand »

Pour la famille, la nationalisation constitue un véritable cataclysme. Malgré les avertissem*nts et les mises en garde – émanant le plus souvent de personnalités de gauche –, les Rothschild ne se sont pas vraiment préparés à l’événement, refusant même de revoir la structure juridique du groupe pour mettre à l’abri leurs actifs les plus précieux. Rue Laffitte, on a même caressé l’espoir d’échapper à la nationalisation… Le choc n’en est que plus rude. Sans doute les actionnaires reçoivent-ils 500millions de francs au titre des indemnités de nationalisation. Un montant plus qu’honorable pour un établissem*nt qui connaît des difficultés depuis le milieu des années 1970 et dont les participations industrielles ont perdu beaucoup de leur lustre. Sur ce total, 35 % reviennent à la famille.

Mais l’argent, en l’espèce, n’est pas l’essentiel : les Rothschild ont en réalité le sentiment, largement justifié au demeurant, d’avoir été spoliés. Le 30octobre 1981, quatre jours après le vote de la loi, Guy de Rothschild adresse d’ailleurs au journal « Le Monde » un article plein d’amertume et de colère intitulé  « Adieu Rothschild ». « Les Rothschild français ont commis la faute de croire qu’ils pouvaient évoluer et se développer avec leur temps et dans leur pays : mal leur en a pris. Les procureurs socialistes les ont exclus de la cité économique. De la Maison de Rothschild, il ne restera que quelques bribes, peut-être rien. Juif sous Pétain, paria sous Mitterrand, pour moi cela suffit », écrit ce jour-là le patriarche de la famille, suscitant nombre de réactions en France et à l’étranger.

La renaissance

David est davantage en lumière. En 1987, il est âgé de quarante-cinq ans. Jeune encore, marié depuis 1974 à la ravissante Olimpia Aldobrandini, il est auréolé de la renaissance de la maison Rothschild, partie de rien en 1982 et redevenue en l’espace de quelques années l’un des établissem*nts les plus prestigieux de la place parisienne. Influent, très bien introduit dans les cercles politiques et économiques, il est aussi très actif dans les grandes opérations financières qui remodèlent le visage du capitalisme.

Durant les années1980 et1990, Rothschild & Co. participe ainsi à de très nombreuses OPA : en France, bien sûr, mais aussi en Grande-Bretagne, où elle agit de concert avec la maison de Londres et avec Jimmy Goldsmith, et aux États-Unis où Rothschild Inc., la filiale commune des maisons de Londres et de Paris créée en 1967, est partie prenante dans plusieurs gros « deals » industriels. Entre les banques anglaise et française, les liens commencent à se resserrer à nouveau. Signe de cette évolution : en 1992, David de Rothschild devient vice-président de NM Rothschild & Sons. Une position clef comme l’avenir va le montrer… »

Le fabuleux destin des Rothschild (1)

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